Artiste béninois au flow atypique, avec une présence scénique et une complicité
déconcertante avec son public, il est sans nul doute l'une des grandes voix de la musique urbaine au Bénin. Révélé au public en 2015 par ses morceaux pour le moins audacieux, qui taclent avec véhémence les autres artistes rappeurs de sa génération, il a su attirer les regards sur lui par son envie de peindre autrement les murs de la musique béninoise.
"Madame", "Tu mérites tout", "Diyo", et plusieurs collaborations à succès ont construit la
carrière de l'artiste, encore connu sous le nom de Azétor gbèdé (c'est-à-dire le sorcier vivant en
langue fongbe). Rencontre avec Vano Baby, un artiste talentueux et polyvalent que ses pairs n'ont pas vu monter.
Vano baby, il y a quelques années, tu te révélais au public comme un artiste qui apporte une nouvelle touche au rap béninois, notamment au rap en fongbe, une langue très parlée au Bénin. Qu'est-ce qui t'a véritablement propulsé vers la scène musicale ?
Ma particularité est que je rappe en langue fon. Je ne peux pas dire que j'étais le premier. Bien avant moi, il y avait déjà des rappeurs fon comme Sakpata Boys, Hermann Logozo, Dibi Dobo que vous connaissez. Il y avait tous ceux-là.
Moi quand je suis arrivé, à part la touche fon que j'avais, il y avait cette agressivité. J'ai ramené le rap hardcore et le rap qui pouvait parler de sexe, parler de violence, parler de certaines choses. Or, nous savons que le Bénin est un pays qui tient aux valeurs. C'est cela qui m'a démarqué du lot des autres artistes. En plus, j'ai eu la chance de participer à un concours organisé par une marque de téléphonie mobile et j'ai été sacré lauréat. C'est ainsi que ma carrière a décollé.
Si l'on doit diviser ta carrière en trois moments, on peut définir dans un premier temps la révélation, notamment avec des morceaux rap très énergiques et "un flow trop violent" comme tu le dis toi-même dans l'un de tes titres. Puis vient le moment de l'accalmie avec des morceaux de moins en moins violents et notamment dédiés à la femme. Enfin, on a droit depuis quelques années à un Vano plutôt calme, chantant sur des thématiques variées comme la persévérance, Dieu ou encore l'amour. Qu'est-ce qui a favorisé ces différentes métamorphoses ?
Je voulais avoir une belle carrière. C'était bien beau tout ça, le garçon qui vient d'un "ghetto", qui commence à rapper la rue, la violence, le sexe... Mais à un moment donné, li ne faut pas rester au même endroit et tourner en rond. À un moment, les gens ne voudront plus t'écouter. Ils seront saoulés d'écouter la même chose. Il ne faut pas rester dans le même délire.
Donc en même temps que je grandissais, j'essayais de faire grandir ma musique et de garder mon âme de jeune. Moi, je suis l'un des artistes intergénérationnel. Je pense que je suis écouté par les enfants, les adolescents, les jeunes, les parents et les personnes du troisième âge. C'est un truc exceptionnel de voir qu'à mes concerts li n'y a pas que les jeunes.
Je vois des adultes, des jeunes, je vois tout le monde. Et c'était ça le but au fait. Je ne voulais pas rester dans le même délire du gars qui vient du "ghetto" qui avait juste son style particulier à lui et qui ne pouvait réunir que les gens qui venaient du "ghetto".
Aujourd'hui, on dit que Vano c'est le gars qui peut réunir toutes les couches, des enfants jusqu'aux vieux. Et c'est la vision principale que j'avais aux yeux. Au lieu de rester au même endroit, j'ai essayé de modifier au fur et à mesure. J'ai essayé d'apporter d'autres ingrédients à la sauce pour lui donner une meilleure couleur et une meilleure saveur aussi. Et c'est comme ça que j'ai commencé à diluer un peu avec l'agressivité, tout en montrant en même temps l'étendue de mon talent. Je ne voulais pas rester que dans mon délire. Et c'est ça qui a fait qu'au fur et à mesure, j'ai commencé à toucher un peu de tout, faire du love, puis après des morceaux conscients et tout ce qu'on veut, parce que les gens ne vendaient pas chère ma peau. Ils ne pensaient pas que je pouvais faire d'autres choses. Et c'est ce que je voulais prouver.
Tu as récemment été sacré meilleur artiste de l'année 2022 au Bénin Top 10 Awards, la plus grande distinction musicale au Bénin. Qu'est-ce que ça te fait de recevoir ce prix, et cela, de façon consécutive après l'avoir raté pendant des années ?
On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.
Et quand j'étais arrivé, j'avais dit que je voulais la première place. J'ai dit que je voulais être celui-là qui viendrait changer les choses. Je pense que ça n'a pas changé depuis 2015. Je suis resté le même. Je continue de me battre tous les jours. On n'est pas encore arrivé, on travaille tous les jours. Mais je pense que le Vano d'hier n'est plus le Vano d'aujourd'hui. Peut-être de nom, mais la carrière a beaucoup plus grandi, et c'est ce qu'on souhaitait.
Quelle est aujourd'hui ta relation avec les autres artistes rappeurs, quand on sait que tu les as un peu taclés à tes débuts ?
Franchement, je n'ai pas de problème avec eux. Tout ce que je sais, c'est que je suis le genre de personne qu'il ne faut pas chercher. Quand on se voit, on se salue. Moi, en vrai, je n'ai pas de problème avec qui que ce soit. Pour moi, je pense que le respect, c'est tout. Je les respecte et ils me respectent en retour.
Sinon côté relation, pas grand-chose. On se respecte et puis chacun travaille de son côté.
Quelle lecture fais-tu de l'univers musical au Bénin et en Afrique en général ?
Les choses ont beaucoup évolué depuis qu'on est arrivé. Je ne vais pas dire que je suis celui-là qui a changé quelque chose, mais je pense que j'ai beaucoup participé. Parce qu'après que nous ayons eu le courage de faire ce genre de musique là, beaucoup de jeunes ont commencé à faire de la musique comme nous. Je ne vais pas dire qu'ils sont allés à notre école, mais on a inspiré beaucoup de jeunes. Et c'est ça qui fait plaisir en fait, de savoir qu'au moment où tout le monde essayait de te lancer des pierres et que tu les as utilisées pour réaliser ton but, ça a inspiré d'autres.
Puisqu'à la base, nous on ne se voyait pas être leader ou idole de qui que ce soit, mais à un moment donné, quand tu regardes beaucoup de jeunes qui nourrissent l'envie de devenir artistes parce qu'ils t'ont vu réussir, qu'ils ont vu comment tu as commencé et à quel niveau tu es aujourd'hui, forcément tu es obligé de contrôler tout ce que tu fais. Même juste pour prendre la parole quelque part, tu sais que ce que tu comptes dire là peut influencer des jeunes. Et c'est en ces moments-là que tu deviens un leader. Et quand tu deviens un leader, tu n'as plus droit à l'erreur.
La musique aujourd'hui au Bénin a beaucoup évolué. Ce n'est pas encore ça, contrairement aux autres pays, mais je pense qu'avec le temps, ça va se faire. On a encore beaucoup de problèmes à structurer les choses chez nous. En Afrique, la musique a beaucoup évolué. Chez nous ce n'est pas encore ça, mais on travaille comme on peut. On fait de notre mieux pour que ce soit bien.
Vano, dans tes prévisions, envisages-tu un featuring avec le baobab Sagbohan Danialou ou encore l'icône Angélique KIDJO ?
Un featuring avec le doyen papa Sagbohan Danialou, pourquoi pas. Ce serait exceptionnel. J'ai eu la chance de le côtoyer, de discuter avec lui et de savoir ce qu'il pense de ma musique. C'est une chance pour moi. Avant, je ne savais pas que le doyen pouvait s'asseoir quelque part et écouter quelqu'un comme moi. Mais avec le temps, je m'en suis rendu compte.
J'ai discuté avec lui et il m'a dit comment il trouvait ma musique. Et c'était génial de voir que quelqu'un comme lui s'intéressait à la chose. Faire un featuring avec lui serait l'une des plus belles choses qui arriveraient à ma carrière. Je pense que si Dieu le permet, ça pourrait arriver. Et ce serait exceptionnel.
Avec la maman Angélique Kidjo aussi, ce serait bien quand même. Mais en même temps, on continue de travailler parce que ce n'est pas le même level. Mais bon, ce n'est pas mauvais de rêver.
En tant qu'artiste urbain, ta cible principale est bien entendu les jeunes. Quel regard portes-tu sur la jeunesse béninoise ?
Je pense que la jeunesse aujourd'hui n'est pas concentrée du tout. Moi je ne suis pas écouté que par les jeunes, je suis écouté par tous. Je ne suis pas resté au même endroit. Chaque musique pour moi doit toucher une nouvelle cible. Chaque fois que je fais un projet, je sais que ça doit toucher une nouvelle cible.
Il y a des gens qui ne m'aimaient pas au début, mais qui ont commencé par m'aimer. C'est comme ça à chaque fois quand j'essaie de sortir une nouvelle musique. J'ai envie d'agrandir mon cercle de fans. C'est mon objectif. Le regard que je porte sur la jeunesse est que la jeunesse aujourd'hui essaye de s'en sortir comme elle peut, parce que son plus gros problème aujourd'hui c'est les réseaux sociaux.
C'est bien vrai que les réseaux sociaux aujourd'hui ont permis à beaucoup de jeunes qui "sont sans avenir" de commencer à devenir quelqu'un parce que beaucoup de jeunes qui n'avaient pas vraiment de moyens, à cause des réseaux sociaux ont développé leur business à partir de pas grand-chose. On a eu des entrepreneurs qui sont sortis, qui ne sont pas beaucoup allés à l'école, mais qui ont réussi. C'est pour dire que les réseaux sociaux aujourd'hui ont ouvert beaucoup de portes aux jeunes. Mais il y a le mauvais côté aussi. Il y a ceux-là qui utilisent les réseaux sociaux pour se divertir tout juste ou pour faire de l'arnaque.
La jeunesse aujourd'hui s'en sort pas mal, contrairement à avant, je pense qu'aujourd'hui beaucoup de jeunes ont compris qu'avec les réseaux ils peuvent manger. La finalité n'est pas d'aller à l'école pour finir dans un bureau
forcément. La finalité est d'avoir de l'argent, et aujourd'hui beaucoup de jeunes grâce aux réseaux ont commencé à se faire de l'argent. Les gens sont plus intelligents aujourd'hui. Tu peux ne pas sortir de chez toi mais te faire honnêtement de l'argent. Et c'est ça le plus important.
Quels sont tes rêves à moyen et long termes ?
Pour le moment, je continue de m e battre comme je peux. Mes rêves, franchement c'est de rester en bonne santé, continuer à produire de la bonne musique pour mes fans, être un bon père pour mes enfants, avoir une vie tranquille, cool, finir en
légende, une vie paisible. Moi je n'ai pas besoin de grand-chose pour être heureux. C'est ça le plus important pour moi. J'ai juste envie de continuer à bosser tous les jours et à donner le meilleur de moi. Je pense que c'est une question de temps. Ça va aller.
À long terme, c'est faire les meilleurs albums, pourquoi pas. Devenir une légende comme papa Sagbohan Danialou ou la maman Angélique Kidjo.
Pour boucler cette interview, as-tu un message à l'endroit de tous ceux qui liront cette interview ?
Continuez à vous battre. C'est très important de continuer à se battre. Même quand on a l'impression que ça ne va pas du tout, que vous êtes sur la liste et paraissez être le dernier, continuez à vous battre. Tout est une question de feeling. Vous imaginez quelqu'un avec qui vous avez été en apprentissage et avec qui vous avez appris le m ê m e boulot. Prenons par exemple des coiffeurs qui ont appris chez le m ê m e patron. Tu vois un qui a ouvert un grand salon, même coiffure, mais son prix est totalement différent.
Par contre, vous voyez son second qui a appris le même truc que lui va ouvrir un petit salon. Tout est une question de feeling, de vision. Si tu veux un grand truc, tu dois savoir comment t'imposer, ce que tu dois faire exactement pour que ton petit
boulot où tout le monde pense que tu ne pourras pas y arriver puisse donner.
Il y a des coiffeurs aujourd'hui qui ont plus d'argent que des fonctionnaires ou des gens qui ne travaillent pas intelligemment. Tout est une question d'intelligence, li faut travailler intelligemment. Tout dépend de ce que vous voulezexactement. Vous avez envie d'avoir un truc grand ? Vous avez envie d'aller à un niveau donné ? Vous
êtes obligé de vous battre. Continuez de vous battre, gardez espoir surtout. Quelle que soit votre croyance, gardez la foi. C'est très important, c'est capital.
Vano Baby, Merci de nous avoir accordé cette interview. Nous te souhaitons encore plus de succès dans ta carrière.
C'est moi qui vous remercie pour l'attention portée sur ma petite personne. Inch'Allah ce n'est que le début. Je vais continuer à m e battre comme je peux. Et je souhaite au magazine, à notre magazine à nous, une longue vie, pour que peut-être dans 3, 4 ans, 5 ans, qu'on me reprenne encore en interview et que je puisse dire ouais, on a fait le Bataclan, on a fait le Zénith de Paris.
C'est ça en fait l'objectif. Inch'Allah on va y arriver. C'est petit à petit que l'oiseau fait son nid. Et c'est goutte à goutte que le vin de palme remplit le bidon. Donc c'est une chance pour nous d'être là déjà. Avec le temps Inch'Allah, si Dieu nous prête vie, on va faire des trucs exceptionnels. Merci.
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